LA MACHINE À STRESS

Je suis largué. Déjà. C’est gênant. La tâche qu’on me demande est pourtant simple, mais je peine à suivre le rythme. Et le pire est à venir : on m’a averti que les choses ne feraient qu’accélérer.

Devant moi, la stagiaire Émilie Kostiuk note mes erreurs qui s’accumulent. Je sais que sa professeure, Nathalie Gosselin, scrute aussi attentivement ma contre-performance. Au lieu de me concentrer, je songe à l’image que je projette : celle d’un gars incapable de se concentrer. Mes résultats s’en ressentent, ma concentration dégringole encore. Je m’enfonce en plein cercle vicieux.

Sur ma poitrine, trois électrodes captent le rythme de mon cœur qui s’emballe. Deux autres électrodes mesurent la conductance électrique de mes doigts. Plus mon stress augmente, plus j’ai les mains moites, et plus celles-ci conduisent l’électricité.

Les consignes finissent par prendre fin. Émilie place une paire d’écouteurs sur mes oreilles. Un air de violon se fait entendre. On me laisse seul pour reprendre mes esprits.

Les premières minutes, je me torture à essayer de comprendre comment diable j’ai pu trébucher si tôt dans l’expérience. Puis je finis par me laisser happer par la musique. Au bout d’un moment, Nathalie Gosselin apparaît.

« Vous allez bien ?, s’enquiert-elle d’une voix chargée d’empathie. Il ne faut pas s’en faire. La tâche a été conçue pour vous stresser. Vos résultats sont normaux et ne reflètent en rien vos capacités intellectuelles. Vous avez été un très bon sujet d’expérience. »

TROQUER LES PILULES CONTRE LES DISQUES ?

Nous sommes au Laboratoire international de recherche sur le cerveau, la musique et le son, surnommé BRAMS. Ce centre bien particulier est affilié à la fois à l’Université de Montréal et à l’Université McGill.

Nathalie Gosselin est neuropsychologue et professeure adjointe au département de psychologie de l’Université de Montréal. Elle vient de lancer ici un vaste programme d’études. Objectif : explorer les liens entre la musique et le stress.

« Le stress est très répandu et a des effets importants. Chacun a un peu sa technique pour l’alléger. On peut relaxer, méditer, prendre de la médication. »

« Et, dans la littérature, la musique est identifiée comme un moyen potentiellement efficace pour réduire le stress. On veut explorer cette voie. »

— Nathalie Gosselin, neuropsychologue

Des disques de relaxation aux berceuses chantées par maman et papa pour apaiser bébé, des indices semblent montrer que la musique peut atténuer le stress. La recherche à laquelle La Presse a participé vise à documenter formellement ce potentiel.

Un certain secret entoure cependant le projet. C’est que l’expérience est toujours en cours, et les chercheurs sont toujours réticents à dévoiler les détails de travaux dont les résultats n’ont pas encore été publiés.

« On ne voudrait pas se faire voler nos idées et notre méthodologie », explique Mme Gosselin.

La professeure veut aussi éviter qu’on révèle les méthodes exactes utilisées pour stresser les sujets. Une bonne partie du stress induit vient en effet de l’effet de surprise et de nouveauté. Si les trucs des chercheurs deviennent connus, leur efficacité pourrait s’en ressentir.

« On n’inflige pas un stress inhumain, tient tout de même à préciser la chercheuse. On veut que nos sujets repartent ici dans de bonnes dispositions. »

BACH À LA RESCOUSSE

Après avoir subi un stress, une partie des cobayes de Nathalie Gosselin relaxe donc au son de la musique. D’autres forment un groupe contrôle qui servira à comparer les résultats.

Pour ceux qui écoutent de la musique, oubliez Metallica et Kanye West : ce sont des pièces classiques qui sont au programme. Lors d’une étude précédente, 44 pièces musicales ont été présentées à des sujets, qui les ont classées selon leur potentiel relaxant. Les six plus apaisantes ont été retenues. On y retrouve notamment Air sur la corde de sol, de Jean-Sébastien Bach.

Pour l’instant, les expériences de Nathalie Gosselin sont menées sur des sujets sains.

« Si on confirme que la musique est un moyen efficace, la prochaine étape sera de vérifier si elle peut aider les populations aux prises avec des problèmes de stress », explique Mme Gosselin.

Quelques tests sont aussi menés sur des athlètes qui participent à des compétitions.

« On croit qu’il s’agit d’une population à qui on pourrait proposer des interventions. Plusieurs athlètes disent déjà écouter de la musique dans ce but », dit Mme Gosselin.

Mais dans ce champ d’études qui commence à peine, les questions sont plus nombreuses que les réponses. Est-ce que toutes les musiques peuvent soulager le stress ? Est-ce que la musique qu’on aime est plus efficace ? Le secret de la relaxation se trouve dans le tempo ou la mélodie ? Est-ce une bonne idée d’écouter de la musique au travail ? Si oui, laquelle ?

« Il y a plusieurs questions que je vais me faire un plaisir d’explorer au cours des prochaines années, lance Nathalie Gosselin. On ne fait que commencer ! »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.